I. LA STRUCTURE DE L'OEUVRE

 

Ø       Une œuvre rhapsodique*:

5 chapitres (ou sections) :

- « Jugement du Voyage de Bougainville » : dialogue entre A et B, sans aucune référence spatio-temporelle, ni circonstances de la rencontre. Début in medias res.

- « Les adieux du vieillard » : contenus dans le « Supplément » que A et B parcourent (= mise en abyme) puis reprise à la fin du dialogue entre A et B qui annonce un autre passage du « Supplément »

- « Entretien de l’aumônier et d’Orou » : d’abord l’arrivée de l’aumônier dans la famille tahitienne, racontée par B et non dans le « Supplément » fictif, puis l’entretien lui-même, coupé par un récit de B concernant la scène entre l’aumônier et Thia, la fille d’Orou. Puis à la fin, B rapporte une note de l’aumônier sur le choix d’un compagnon ou d’une compagne à Tahiti. Enfin à la demande de A, B raconte l’histoire de Polly Baker, survenue en Nouvelle-Angleterre.

- brève relation sur la fin du séjour de l’aumônier et rapide échange entre A et B sur les 2 personnages (aumônier et Orou)

- Eloge des mœurs tahitiennes par l’aumônier suivi d’un débat entre A et B sur l’opportunité de suivre ou non ces mœurs.

 

Cette structuration de l’œuvre  ne respecte pas l’ordre chronologique, mais plutôt le fil de la conversation.

 

*une rhapsodie est d’abord dans l’Antiquité, un ensemble constitué de poèmes chantés et plus ou moins bien assemblés entre eux (du grec « ôde », ode et « rhaptein », coudre). Par extension, en musique, un morceau composé d’éléments disparates

 

Ø       La polyphonie des voix :

-         Qui parle ? Quelle est la part de subjectivité dans les paroles rapportées (les notes et paroles des personnages secondaires sont filtrées par B)

-         Qui est le porte-parole de l’auteur ? A,  B, Orou, le vieillard tahitien ? ð multiplicité des points de vue

- On peut donc s’interroger sur le but poursuivi par Diderot à travers cette œuvre : une véritable argumentation

 

Ø       Des thèmes entrelacés : bonheur, éducation, organisation sociale et politique…

II. LES PERSONNAGES

I Les représentants de la Vieille Europe

A part Bougainville et Polly Baker, ils ne sont pas nommés, contrairement aux tahitiens qui ont tous un prénom sauf le vieillard.

1) Bougainville

·         Un personnage historique

·         Un personnage à la double personnalité :

ð à la fois un personnage historique dans le chap. I, et un personnage de fiction, dans le chap. II.

ð une image positive pour les Européens : un héros qui a traversé les mers s’exposant « aux périls de l’air, du feu,  de la terre et de l’eau »

Mathématicien : homme d'étude, jeune, vie stable et méditative, univers clos, condition retirée : érudit, savant = le philosophe selon conception du XVIème siècle (cf. Montaigne : homme de cabinet et livres et les portraits de St Jéröme et du cardinal de   dans la S1).

Voyageur : dans son âge mûr, homme d'action, vie errante, active, dynamique, sociale, utile,

                univers vaste:   Le philosophe selon conception XVIIIème siècle (cf. Dumarsais : activité  

                concrète et sociale).

 = un parfait philosophe des Lumières pour Diderot, qui lui attribue « de la philosophie » : c’est un homme de savoir, qui joint des qualités intellectuelles (rapidité d’observation et de compréhension, souci de la véracité…) à des qualités morales (le courage) ; c’est aussi un propagateur des Lumières, qui a « le désir d’instruire » et d’être utile aux autres (« le seul qui m’ait donné le goût pour une autre contrée » dit B).

ðune image négative pour les Tahitiens (cf. discours du vieillard)

un  véritable « conquistador » : un brigand,  " Et toi, chef des brigands qui t'obéissent /…/ tu ne peux que nuire ”,  « ce pays est à nous »,  « tu as fait pis encore », un esclavagiste, un corrupteur, un malfaiteur et un criminel.

2) L’aumônier

- Un personnage caricatural

ð Symbole de la religion, au service de l’anticléricalisme de Diderot

- mais aussi un personnage bien humain dans ses faiblesses, et dans son évolution psychologique : dès le début de l’entretien avec Orou, il s’apitoie sur le sort des femmes laides, et à la fin du conte, on le sent sincèrement touché par les Tahitiens et leur mode de vie, attristé aussi de son départ de l’île. L’emploi de la périphrase « le bon aumônier » par lequel Diderot le désigne à la fin est révélateur de cette évolution du personnage, sur lequel l’auteur exerçait au début sa verve satirique.

- c’est aussi le pendant du personnage d’Orou : ils semblent avoir à peu près le même âge : 35 ou 36 ans mais sont opposés dans leurs idées comme dans leur apparence : l’un semble en permanence contraint et l’autre respire le bonheur de vivre

3) Miss Polly Baker, son séducteur,  et ses juges

à les juges : des personnages figés dans leur fonction = des symboles de l’injustice  et de la dureté des lois. àLe séducteur de Polly Baker, non nommé mais désigné par des périphrases,  appartient à leur confrérie (« cet homme », « mon séducteur », « magistrat comme vous ») ðil n’est utile que comme figure du méchant homme, du « mal nécessaire » : Diderot s’intéresse davantage à la figure de Polly Baker et à la situation de séduction, de déshonneur et de réparation où elle se trouve.

àPolly Baker = une victime et une héroïne : « une fille malheureuse et pauvre », d’une grande « simplicité ». Elle permet à Diderot de dénoncer la violence faite aux femmes dans la société de l’époque, en particulier aux filles-mères, et l’hypocrisie morale des sociétés européennes (qui exonèrent l’homme de la faute). On peut noter que son plaidoyer fonctionne sur des arguments « tahitiens » (selon Diderot), puisqu’elle évoque sa contribution à l’accroissement de la richesse de son pays par la naissance de ses enfants, ce qui ne va pas sans une certaine ironie.

Ce personnage, dont la réalité est contestée,  a été popularisé par Benjamin Franklin en 1747, et est mentionné par l’abbé Raynal dans L’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes en 1770, un ouvrage particulièrement anticolonialiste.

4)      A et B

Des personnages anonymes, sans fonction particulière, et dont nous ignorons tout, tant physiquement que moralement.

B fait figure de pédagogue : « Orou l’a fait entendre dix fois à l’aumônier ; écoutez-le donc encore, et tâchez de le retenir » (chap. V). Il est celui qui donne les explications et qui mène le jeu en introduisant le « Supplément » dans la conversation. On peut y voir le personnage du philosophe des Lumières, qui fait entendre la voix de Diderot.

A est l’élève, celui qui réclame des explications, mais ses questions manifestent souvent un esprit ouvert, une progression de la réflexion : « Comment est-il arrivé qu’un acte dont le but est si solennel […] soit devenue la source la plus féconde de notre dépravation et de nos maux ? » (chap. V). Il a reconnu la supériorité de B. dès la fin du chapitre I : « il semble que mon lot soit d’avoir tort avec vous jusque dans les moindres choses ». Au chapitre V, il manifeste son accord à de nombreuses reprises : « je pense comme vous », « j’en conviens », « il est vrai ».

Il est aussi le sceptique, qui parfois tempère l’enthousiasme de B : « Donneriez-vous dans la fable d’Otaïti ? », « En vérité ? » (chap. I)

On peut voir en lui à la fois le personnage de « l’homme de la rue » càd de l’homme ordinaire mais aussi celui qui exprime les doutes de Diderot face à lui-même par l’intermédiaire de B.

Ces deux personnages ne sont cependant pas figés dans leurs rôles respectifs : B parvient parfois à vaincre le scepticisme de A, tandis que celui-ci le ramène à plus de réalisme. B peut aussi se montrer plus réservé que A, par exemple à propos des codes civil, religieux et naturel. (chap.  )

 

II Les Tahitiens

Presque tous identifiés et nommés (// aux Européens)

 

1)       Aotourou : rapidement évoqué au début ; partage avec Bougainville le fait d’être un personnage réel.

Ce que l’on sait de lui :

-         il a la nostalgie de son pays natal

-         il veut rester libre : le goût de la liberté est chez lui « le plus profond de tous les sentiments »

-         il représente son peuple, puisque c’est à partir de sa personnalité que B va généraliser sur les « Otaïtiens »

 

2)      Les 3 filles d’Orou :

-         Asto, l’aînée à 3 enfants

-          Palli, la cadette à 2 enfants

-         Thia, la benjamine à pas d’enfant : un portrait un peu plus fouillé que pour ses sœurs ; on apprend qu’elle souffre de ne pas avoir d’enfant.

 

Toutes les 3 sont belles ; l’aumônier passe la nuit avec elles à tour de rôle à tjs la « fable d’Otaïti »( cf tableaux de Gauguin, Les Révoltés du Bounty…).

 

3)      le vieillard

-         son âge = symbole de sagesse et d’expérience = un prophète ð il commande aux éléments : « on eût dit que l’air et la mer sensibles à la voix du vieillard se disposaient à lui obéir » et il inspire le respect : tous se taisent à la fin de son discours « un vaste silence régna sur toute l’étendue de l’île »

-         il n’a pas de nom (renforce l’idée que c’est un symbole, comme l’aumônier ou les juges de Polly Baker)

-         il se détache des autres, physiquement et par son comportement (mise en relief) : « il leur tourna le dos et se retira dans sa cabane »

 

4)      Orou

-         = le pendant tahitien de l’aumônier : ils semblent avoir à peu près le même âge : 35 ou 36 ans mais sont opposés dans leurs idées comme dans leur apparence : l’un semble en permanence contraint et l’autre respire le bonheur de vivre

-         = le « bon sauvage » qui incarne le bon sens //la corruption des idées européennes

-         = l’hospitalité tahitienne, pas totalement désintéressée : il explique l’accueil des tahitiens par la volonté de soutirer des enfants aux européens  ð utilitarisme des Lumières donc ce n’est pas un trait négatif pour Diderot.






 

 

 

 

 

 
 



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