♣ Louis Aragon (1897-1982) est un poète, romancier, journaliste et essayiste français, Il est également connu pour son engagement et son soutien au Parti communiste français de 1930 jusqu'à sa mort. Avec André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, il fut l'un des animateurs du dadaïsme parisien et du surréalisme.
♣ Œuvres : roman à Aurélien
poésie à Les Yeux d’Elsa (), Le Cantique à Elsa ( ), Le Fou d’Elsa ( ) pour ne citer que ceux-là où il célèbre l’amour de toute une vie : sa femme.
essai à Le Traité du Style
journalisme àLes Lettres Françaises
♣ La Diane française, recueil de poèmes écrits pendant la 2ème guerre mondiale. Le titre évoque la sonnerie militaire du réveil, comme si Aragon voulait appeler la France à se réveiller et à résister à l’occupant allemand.
♣ À partir de la fin des années 1950, nombre de ses poèmes ont été mis en musique et chantés (Jean Ferrat, Léo Ferré, etc.), contribuant à faire connaître son œuvre poétique. La première chanson tirée d'une œuvre d'Aragon date de 1953 : elle est composée et chantée par Georges Brassens sur les paroles du poème que nous allons étudier : « Il n’y a pas d’amour heureux ».
♣ Nous verrons comment les thèmes de l’amour et de la guerre se mêlent ici…
♣ Et pour cela nous étudierons d’abord le lyrisme du poème, puis la dénonciation implicite de la guerre.
I Un poème lyrique
· Forme : 5 quintils, en alexandrins, rimes embrassées + 1 refrain qui revient après chaque vers et se trouve développé après la dernière strophe. à
· Registre élégiaque (plainte funèbre)
· Champs lexicaux : amour et douleur, de + en + intense : strophes 1 à 3 entremêlés à peu près dans un vers sur deux ; strophes 4 et 5à quasiment présents ensemble dans chaque vers, avec l’anaphore « Il n’y a pas d’amour ».
· Un poème placé d’entrée sous le signe de la négation : le 1er mot est « Rien » et la reprise du refrain « Il n’y a pas d’amour heureux » avec sa tournure négative vient renforcer l’idée que l’amour ne peut exister (on verra ensuite que c’est par rapport à cette période troublée de l’Histoire qui empêche l’amour de s’épanouir pleinement).
· Un amour néanmoins très présent : malgré ces sentiments de tristesse, Aragon dans la troisième strophe éclaire la source du bonheur dans la vie : l'amour. Ses pensées sont constamment tournées vers Elsa, sa femme, qui n’est pas nommée dans ce poème : " Je te porte dans moi comme un oiseau blessé/Et ceux-là sans savoir nous regardent passer ". Dans ces vers, Aragon veut dire que son amour pour Elsa est si profond que personne ne peut le remarquer, et qu’il le protège comme « un oiseau blessé ». L’utilisation du mot " oiseau " montre aussi que l’amour comme la poésie, constitue un moyen d’évasion dans une vie rendue difficile par les circonstances.
· Jeux sur les sonorités : allitération en [m] qui évoque le verbe « aimer » et le mot amour (cf. Ronsard : ) et rimes intérieures « acquis » et « ni », « bras » et « croix »
· Musique : la musique composée par Georges Brassens sert le propos du poème par sa mélodie triste ; on n’entend vraiment bien la guitare qu’au moment où le poète évoque « ce qu’il faut de sanglot pour un air de guitare. De plus les notes progressivement de plus en plus basses sur le refrain accentue la mélancolie du texte.
Transition : Cependant, comme on va le voir, ce poème constitue également pour l’auteur un moyen de dénoncer la guerre, qui sépare les amoureux et rend leur vie difficile et incertaine.
II Le motif sous-jacent de la guerre
CCL°
· Dans ce poème Aragon démontre brillamment que le lyrisme et l’évocation de sentiments et d’émotions personnels peuvent se mettre aussi au service d’un engagement politique, ici dans la Résistance.
· On peut rapprocher ce texte d’un des ses autres poèmes « La Rose et le Réséda* »qui figure également dans La Diane française, et où il démontre de la même manière que les français doivent s’unir, quels que soient leur origine géographique, politique ou religieuse, pour lutter contre l’occupant. On peut aussi penser à Rimbaud et à son célèbre poème « Le Dormeur du val » qui dénonce les ravages de la guerre de 1870 grâce à l’évocation d’une nature idyllique et d’un jeune homme paisiblement endormi, dont on n’apprend que dans le dernier vers qu’il est en fait mort, tué de deux balles.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda