Entrer dans l’œuvre

Objectif : Lecture comparée de l’incipit et de l’excipit

Problématique : Comment l'incipit et l'excipit nous permettent-ils de dégager les grands axes d'étude du roman ?

Supports :

·         Extrait 1 (chapitre 1) : « Ah bien, reprit-elle en silence... » jusqu'à "...et jeter son trop-plein à la rue." - incipit du roman

·         Extrait 2 (chapitre 14) : « Enfin c’est vous » jusqu'à la fin - excipit du roman

 

INTRO.

 

  • Présentation de l’œuvre et de l’auteur : Au XIXe siècle, Zola, écrivain et journaliste,  lance un nouveau mouvement littéraire : le naturalisme. Très proche du réalisme, ce mouvement veut peindre la réalité de son époque, y compris dans ses aspects les plus triviaux. Dès 1869, Zola conçoit,  à l’imitation de Balzac et de sa Comédie humaine dans la 1ère moitié du XIXème siècle, le projet de son grand œuvre : une série de romans, qui montrera tous les aspects de la société et s’intitulera Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire.
  • Dans Au Bonheur des Dames, publié en 1883, onzième roman du cycle,  Zola retrace l’évolution du commerce à travers le développement des grands magasins.
  • Ces deux extraits constituent l’incipit et l’excipit du roman. Nous verrons dans quelle mesure ils nous permettent de dégager les grands axes de lecture du roman, d’une part à travers la description du grand magasin, d’autre part à  travers  l’étude des personnages et des situations.

 

I La description du grand magasin

 

A)     L’illusion réaliste

1)       Le cadre spatio-temporel :

·         Un cadre spatial délimité et réaliste :  Paris, le grand magasin situé  « à l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve Saint Augustin »// avec la description du Bonheur dans Pot-Bouille, qui raconte les débuts de Mouret à Paris « C’était à l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve Saint Augustin un magasin de nouveautés dont la porte ouvrait sur le triangle étroit de la place Gaillon… »

·         Des précisions temporelles qui situent le début du roman en « octobre » 1864 (l’intrigue se déroule entre 1864 et 1869), et au début de la journée « Huit heures sonnaient à Saint-Roch »

2)      la description du B des D : une vision impressionniste

·         le détail des articles : les tissus : « pièces de lainage », « mérinos », « cheviotte », « molletons » comme des taches de couleur , les matières « dos de petit-gris », « ventre de cygne », « poils de lapin »…ð des énumérations qui créent un sentiment de luxe ostentatoire et une atmosphère sensuelle et érotique (renforcée par les « deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue [qui] déroulaient l’enseigne ».

·         le détail des couleurs : « gris ardoise, bleu marine, vert olive » et les « couleurs bariolées, chinées, rayées, avec des taches saignantes de rouge » de « l’étalage d’hiver »

ð une évocation voulue par Zola, grand ami et défenseur des peintres impressionnistes dont la technique est caractérisée par l’utilisation systématique des couleurs complémentaires, et par des coups de pinceaux juxtaposés, qui font miroiter la surface de la toile.

 

3)      les personnages : comme dans L’Assommoir, le roman s’ouvre sur le personnage principal, une figure féminine, Denise, avec les deux frères dont elle a la charge, Jean et Pépé.

4)      alternance entre le discours direct et le point de vue interne : le magasin est vu à travers les perceptions de Denise « un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective…. », « le magasin semblait crever »

 

B)     Le glissement vers le sacré à la limite du fantastique

1)       la description du B des D : une vision dynamique  qui fait du magasin une « ruche », puis l’assimile à une cathédrale (les tissus comme des « drapeaux » ou des oriflammes tombant de la voûte pour donner ensuite la vision monstrueuse d’ un ogre avec son « déballage géant » qui déverse «  son trop-plein à la rue »sur le trottoir et avale littéralement son personnel (métaphore qui sera développé dans tout le roman, assimilant le magasin à une sorte de Baal) //la mise pauvre des 3 spectateurs, qui par le contraste offert suscitent la sympathie du lecteur.

 

ð un incipit qui remplit sa fonction d’exposition :  présentation des personnages, cadre, amorce de l’intrigue qui montre la place prépondérante du magasin dans la suite du récit. La fascination et la séduction exercées par le Bonheur sur Denise préfigurent l’amour qu’elle va ressentir pour Mouret, qui est l’incarnation même du grand magasin

 

II Un dénouement à l’eau de rose

 

A) Les lieux communs du genre

1) Les personnages

- Mouret, « le prince » au sommet de sa puissance et de sa gloire, littéralement assis sur son tas d’or,  « le million » étalé sur le bureau, qui se heurte au refus obstiné de Denise, qu’il veut épouser.

- Denise, la « bergère », d’une apparente fragilité devant cette puissance, qui refuse l’amour de son patron, qu’elle juge impossible en raison du devoir moral qu’elle s’impose de se consacrer à ses deux frères et sa crainte de n’’être pour Mouret qu’un caprice, « une gueuse » qui se déconsidèrerait « aux yeux des autres. »

2) la situation : une scène d’aveu

  • La souffrance rédemptrice
    L'un et l'autre passent par une très grande souffrance physique (" se débattait comme sous le coup d'une grande douleur ", " torturé ") et morale (" désespoir "). On est dans le registre de la passion. C'est une souffrance rédemptrice.
    Lui qui est un homme d'argent, dur et impitoyable, renonce d'un coup à ce qui a fait le but de sa vie. Cet homme aux nombreuses aventures affronte le refus.
    Denise accepte de réviser ses préjugés et de voir enfin dans son patron un homme.
    Le malentendu est levé. Ils s'aiment sans arrières pensées (" flot de larmes ", " avec une impétuosité d'enfant ").

B)     Un dénouement symbolique

  • Un véritable  coup de théâtre

.Si le sort de nombreux personnages est réglé au cours du chapitre XIV (Jean se marie, Baudu

entre dans une maison de retraite, Hutin se prépare à entrer aux Quatre Saisons), il faut

attendre les dernières lignes du roman pour que soit fixé le sort des deux personnages

principaux. Pour le lecteur, le mariage est programmé depuis longtemps et l’exposition de

blanc (« de quoi vêtir de blanc une troupe d’Amours frileux ») annonce l’heureux

dénouement. Toutefois, pour les personnages, il s’agit d’un véritable retournement de

situation puisque Denise pense annoncer à Mouret son départ.

  • Un contrepoint à l’incipit, qui commençait un  matin, devant le magasin (littéralement, en bas du magasin) et s’achève à la fin du plus grand jour du Bonheur, dans le bureau de Mouret, qui, comme on le sait, domine le magasin à ascension de Denise qui a franchi toutes les étapes, jusqu’au sommet.

 

C) Un dénouement optimiste

Ce dénouement traduit l’optimisme de Zola. Il fait en effet penser à un conte de fées et

Mme Hédouin préside à ce mariage comme une bonne fée (« Le portrait de Mme Hédouin

souriait toujours, de ses lèvres peintes »). La jeune fille a finalement épousé son prince. De

plus, dans le bureau où Octave et Denise se déclarent leur amour, le succès commercial de

Mouret s’affiche sous la forme du « million imbécile » posé sur la table et sous la forme de

« la clameur de ses trois mille employés ». Mais Zola rappelle que ce mariage est aussi la naissance d’un véritable phalanstère des temps modernes, l’alliance de deux conceptions du commerce.

"Une jeune orpheline pauvre et méritante épouse un prince charmant au terme d'une série d'épreuves cruelles imposées à l'un comme à l'autre. Étonnantes métamorphoses des deux héros : la sauvageonne du début devenant une jeune femme charmeuse, le séducteur méprisant, un amoureux transi". E. Zola

ðIl s’agit de mettre en évidence les fonctions d’un dénouement romanesque : clore l’intrigue et

impressionner le lecteur.

 

CCL°

Bilan :

·         Ces deux extraits permettent bien de dégager les grands axes de lecture qui parcourent le roman : d’un côté, l’avènement du commerce moderne, le « poème de l’activité moderne » ,  que souhaitait Zola,  de l’autre une histoire d’amour qui permet de faire passer la leçon d’économie. Des personnages qui symbolisent une nouvelle bourgeoisie, dynamique et innovante, libérée des préjugés de l’ancienne société, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes.

  • une sorte d’hommage aux pionniers du commerce moderne,  Ernest Cognacq et son épouse Louise Jay, fondateurs de la Samaritaine, ou Aristide et Amélie Boucicaut, fondateurs du Bon Marché.

Ø       Ouverture : une œuvre engagée et visionnaire, où Zola dénonce les méfaits de la société de consommation à venir,  et annonce les réformes qui changeront la condition des salariés et conduiront aux grandes utopies sociales, tels que le Familistère de Godin, ou la Saline d’Arc-et-Senans.

 

 

 


 
 



Créer un site
Créer un site