S2s1 Portrait de jeune fille

 

Support : le portrait de Melle de Chartres, p  23-24, de              à       

Objectif : lecture analytique

Activités :

-         présentation orale de l’extrait par un élève

-         analyse critique de l’exposé par les autres élèves

-         proposition de lecture analytique par le professeur

 

Problématique : Qu’est-ce que ce portrait nous apprend de l’héroïne du roman ?

 

◆Lecture analytique de l’extrait (pp. 23-24)

 

Intro. :

 

  • Femme de lettres, appartenant à la noblesse,  Mme de Lafayette a fréquenté toute sa vie les cercles mondains et littéraires, ainsi que l’entourage de la Cour. Parmi ses amis, on compte Mme de Scudéry, auteur de romans précieux,  Henriette d’Angleterre, future duchesse d’Orléans (càd épouse du cousin du roi) ,La Rochefoucauld (auteur des Maximes).

Si son œuvre la plus célèbre reste La Princesse de Clèves , publié en 1678, elle est l’auteur d’autres œuvres romanesques, telles que Zaïde ou La Princesse de Montpensier.

  • La Princesse de Clèves est généralement considéré comme le premier roman d’analyse psychologique moderne.
  • Le roman de Mme de Lafayette, publié en 1678, s’ouvre sur un tableau de la Cour de France, dans les dernières années du règne de Henri II.
  • Nous nous demanderons ce que ce portrait nous apprend de l’héroïne du roman,
  • Et pour cela  nous étudierons en premier lieu le portrait physique d’une « beauté », puis le portrait moral de l’héroïne à travers le miroir de son éducation, et enfin le portrait social qui nous en est donné.

 

I Le portrait d’une « beauté »

 

 Le portrait physique de Mlle de Chartres reste finalement très vague : le terme « beauté » (ou

« belle ») revient 6 fois dans l’extrait, mais les seuls détails concernent « la blancheur de son teint », « ses cheveux blonds », « ses traits […] réguliers ». Mme de Lafayette privilégie les termes abstraits comme « éclat », « grâce », « charmes ». C’est donc un portrait très stéréotypé que nous livre le narrateur, correspondant aux canons de l’époque (la blondeur et la blancheur du teint, la régularité des traits).

Pas besoin de précision, ni de détails, puisque c’est une beauté idéalisée, « parfaite » (comme le duc,

« chef-d’oeuvre de la nature »), qui sort de l’ordinaire (« un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle »). La

dénomination du personnage comme « une beauté » en fait de Mlle de Chartres l’incarnation même,

comme si elle se confondait avec l’idéal de la Beauté, que l’on n’a donc pas besoin de décrire.

 

 Ce portrait se situe au début et à la fin de l’extrait, encadrant donc toute la présentation du

personnage. La beauté apparaît ainsi comme la principale caractéristique de l’héroïne, comme ce qui

représente pour elle, sur le théâtre de la Cour, à la fois un atout et un piège redoutable. Cette beauté

est aussi ce qui peut justifier l’éducation hors du commun que lui a donnée sa mère, elle qui sait

reconnaître les risques que court « une personne qui avait de la beauté et de la naissance ».

 

 Le champ lexical de la vision est important dans le court portrait de Mlle de Chartres : « parut »,

« attira les yeux », « voir » (2 fois), « éclat », et on peut y rajouter celui de l’admiration : « admiration »,

« surpris » (2 fois). Dès les premiers mots de cet extrait, l’héroïne est un objet de spectacle pour toute

la Cour (« tout le monde », « on »), puis l’admiration générale est renforcée par celle du vidame, son

proche parent et un habitué de la Cour et des femmes. Le narrateur lui aussi semble avoir vu Mlle de

Chartres, puisqu’il confirme le jugement du vidame : « il en fut surpris avec raison ». Dès l’entrée en

scène de l’héroïne se voit manifestée l’importance de l’apparence et du regard dans ce monde de la

Cour.

Le narrateur se dissimule derrière l’ambiguïté du « on » et semble tenir le rôle d’un témoin qui

rapporte et cautionne l’admiration dont l’héroïne fait l’objet : « l’on doit croire que c’était une beauté

parfaite ». Il préfère s’abriter derrière le jugement des autres personnages plutôt que de décrire la

beauté de Mlle de Chartres de son propre point de vue omniscient. Mais il intervient plus

directement à la fin pour justifier la surprise du vidame : « il en fut surpris avec raison ». Il prend donc le statut de chroniqueur, témoin des événements et confirmant leur véracité, tout en soulignant le

caractère exceptionnel de la beauté de l’héroïne.

 

II Le miroir d’une éducation

 

On apprend que Mlle de Chartres a été orpheline de père très tôt, ce qui peut causer chez elle une

certaine fragilité et confirmer sa méconnaissance du monde masculin. Mme de Lafayette insiste

également sur son éloignement total de la Cour (« elle avait passé plusieurs années sans revenir à la

Cour »), qui fait que la jeune fille va arriver dans un univers qui ne lui est connu que par le prisme du

regard de sa mère. Le rôle de celle-ci est particulièrement souligné, puisqu’elle devient rapidement le

sujet de tous les verbes (« elle avait donné ses soins », « elle travailla », « elle songea », « elle faisait », « elle lui montrait », « elle lui faisait voir »). L’expression « sous la conduite de » montre à quel point son influence est grande sur sa fille, qui semble n’avoir pas eu d’autre éducateur que sa mère et être très

dépendante d’elle.

 Le narrateur prend soin de distinguer Mme de Chartres des autres mères de son époque (« La

plupart des mères s’imaginent » / « Madame de Chartres avait une opinion opposée ») et multiplie les marques d’opposition : « pas seulement » / « aussi », « d’un autre côté », « mais elle lui faisait voir aussi ». Cette éducation s’effectue loin de la Cour, dans une distance qui peut favoriser l’analyse et la réflexion.

Mme de Chartres ne se contente pas de « cultiver son esprit et sa beauté », mais elle tient à donner à sa

fille une éducation morale, qui soit basée sur le discernement : il ne s’agit donc pas pour elle que sa

fille ignore tout de l’amour et de la galanterie, mais au contraire qu’elle puisse se diriger en

connaissance de cause : « elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux » ; « elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu ».

D’autre part, elle cherche à ne pas limiter la vertu à des obligations contraignantes et imposées de l’extérieur, mais à la présenter comme une valeur qui peut contribuer au bonheur et à l’accomplissement d’une femme : « lui donner de la vertu et […] la lui rendre aimable » ; « quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation » ; « ce qui seul peut faire le

bonheur d’une femme ».

 Le maître mot de cette éducation est d’abord « la vertu », qui apparaît plusieurs fois dans l’extrait ; elle est liée à l’honnêteté, à la « tranquillité » et à « l’éclat », c’est-à-dire la reconnaissance du mérite, de l’excellence, si importants dans cette société aristocratique. Mais cette éducation a aussi une part négative, la méfiance vis-à-vis des hommes et de l’amour : « la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ». La seule voie qu’elle offre à sa fille est celle du mariage : « ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée ».

L’héroïne apprend aussi, dans une perspective bien janséniste, à avoir envers elle-même « une extrême

défiance », qui entraînera sans doute par la suite à la fois sa grande lucidité mais aussi son penchant au

sentiment de culpabilité.

 La Cour est menée précisément par tout ce contre quoi Mme de Chartres a mis en garde sa fille :

la galanterie, les engagements, l’infidélité… Et l’éclat promis par la mère à sa fille semble bien venir

dans ce monde des succès galants plutôt que de l’honnêteté ! Les mariages aristocratiques sont

conduits par de tout autres règles que celles de l’amour réciproque : les alliances de familles, les clans

politiques, les intérêts patrimoniaux… Et il est d’ailleurs intéressant de voir le narrateur souligner sans

indulgence que Mme de Chartres « était extrêmement glorieuse » et que cet orgueil de son rang va la

pousser à contredire ses principes d’éducation, puisqu’« elle ne craignit point de donner à sa fille un mari qu’elle ne pût aimer » (l. 590-591, p. 44) comme il le dira plus loin.

 

III Un portrait en situation

 

Les différentes parties du passage :

– la première partie est centrée sur son apparence et l’impression qu’elle a produite sur la Cour ;

– puis est mentionné son statut social d’héritière, suivi d’un long développement sur son éducation et

l’avenir que lui trace sa mère ;

– retour sur sa situation d’héritière et de beau parti ;

– conclusion sur sa grande beauté.

Le portrait suit donc une construction très rigoureuse en chiasme : la beauté et le rang social

encadrent l’éducation, et la justifient même, comme le dit Mme de Chartres : « combien la vertu donnait

d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance ». Le portrait n’est finalement pas centré sur la personnalité elle-même mais sur le tissu serré d’obligations qui l’entourent : les règles de la tenue à la Cour sous les regards de tous, les lois sociales et morales qui tiennent à son rang et à son éducation. Il n’y a pas de place ici pour l’épanouissement d’une personnalité qui voudrait sortir de ces normes imposées.

 Le statut social de la princesse est précisé deux fois dans le texte : « une des plus grandes héritières de France » et « Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ». Le personnage est estimé non pas selon ses qualités personnelles, mais selon sa fortune et le rang de sa maison. L’individu en tant que tel disparaît, au profit de stratégies matrimoniales dans lesquelles il n’est plus qu’un pion que l’on place plus ou moins bien : « l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille. » La grande beauté de l’héroïne ainsi que son haut rang font d’elle une victime choisie pour tous les « appétits » masculins et aristocratiques ! Et les pages qui suivent montreront comment Mlle de Chartres n’est plus que l’enjeu de luttes entre clans politiques et grandes maisons, au point que Mme de Chartres, au mépris de ses propres règles d’éducation, en viendra à accepter pour sa fille un mariage qui met en péril sa vertu.

 

 

CCL° Mme de Lafayette a fait de ce portrait une véritable ouverture tragique de son roman : tous les éléments du piège tragique sont mis en place pour se refermer sur l’héroïne. Sa grande beauté devient une fatalité qui en fait le point de mire de tous les regards (auxquels elle ne pourra jamais échapper par la suite) et de tous les désirs, qui déclencheront la passion adultère. La Cour est d’emblée présentée comme un lieu dangereux, dont il faut se protéger (ce qui provoquera les fuites réitérées de la

princesse à Coulommiers). Les règles morales très strictes que sa mère lui a inculquées corsèteront le

personnage, écartelé entre ses désirs et la loi morale. L’exaltation du mariage et de la fidélité au mari

contient déjà en germe l’aveu et le renoncement final, de même que la présentation très négative des

hommes (Mme de Chartres évoque « le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité ») va biaiser la relation entre la princesse et le duc. On voit bien comment cette toute jeune fille (elle a 15

ans quand elle apparaît à la Cour) est en réalité une « femme sous influence ».

 

 


 
 



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